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Mot du président

 En 2005, 60 ans après l’inauguration du lycée en baraques sur la place de l’Harteloire, entourée des ruines de la ville anéantie, Claude Spagnol, Jean-René Berthemet, encouragés par le souhait d’Edouard Landrain, député de Loire-Atlantique, lancent l’initiative de la création d’une association des anciens élèves de cet établissement hors normes.

Un article dans le Télégramme, l’exploitation d’une première liste établie en faisant appel aux souvenirs de quelques-uns uns, permirent de réunir en assemblée générale constitutive, le 30 septembre 2005, une soixantaine de membres.

 Depuis, l’organisation de deux sorties, l’une en avril 2006 à Kerhuon, l’autre en août au Faou, à laquelle ont pu se joindre des anciens ayant quitté la région, mais qui lui restent fidèle pour la période estivale, ont permis d’élargir le recrutement et de tracer un programme d’actions dans lesquelles l’association pourrait s’impliquer, conformément à ses statuts.

Mais l’association dont le but est la convivialité retrouvée, ne sera active et vivante que si ses différents membres sont prêts, notamment à partir de ce site informatique, à apporter leur contribution à cet intérêt de se retrouver et d’échanger  les souvenirs communs malgré le temps qui nous a séparé.

 

 

 

 

 

 

                                 Albert LAOT

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Conseil d'admin

Président: Albert Laot
Vice-président: Claude Spagnol
Secrétaire: Yvette Prigent
Trésorier: René-Louis Guiavarch
Trésorier adjoint:: Jean-René Poulmarc'h
Courrier: Annick Blaise
Membres:
Jean-Noël Berthemet
Daniel Gravot

René L'hostis
Bernard Oliveau
Michelle Péron-Pochet
Jeanne Romeur

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8 octobre 2009 4 08 /10 /octobre /2009 10:25

Voici un nouvel article de notre talentueux et prolifique ami, le bon docteur Turier. Et ce n'est pas fini; bientôt, petits gââtés , vous en aurez un autre sur le caducée.

 

 

 

SALUT À VOUS

(Le salut militaire des origines à nos jours)

À couvert et à découvert

    Au collège de Lesneven, tous les lundis matin, en classe de sixième, il y a quelque soixante ans, nous avions droit à une heure de gymnastique (on ne disait pas encore éducation physique et sportive) enseignée par un officier des équipages en retraite : M. Le Page, baptisé “Tit Page” par les élèves. Étant vraiment peu doué pour tout exercice physique, j’attendais avec impatience le dernier “mouvement” d’ensemble qui était un “salut à la France ”, exécuté à l’instar de “Tit Page”, au garde-à-vous, mais au front, paume en avant et doigts serrés mais sans coiffure. Combien de saluts militaires ai-je effectués en quarante ans de carrière dans le service de santé des armées ? Autant compter les étoiles du ciel. Tous, on s’en doute, n’avaient pas la rigueur et le sérieux de celui de mes années de collège, mais tous, je dis bien tous, ont été faits en uniforme et une coiffure sur la tête, que celle-ci soit un calot, un képi en velours amarante ou, en fin de carrière, la casquette des “services communs des trois armées.

Ce long préambule pour dire qu’avec les meilleures intentions du monde et cela va sans dire, les plus patriotiques, Tit-Page nous faisait faire un salut militaire incorrect.

Quelqu’un m’a assuré qu’il n’en va plus de même aujourd’hui : on peut saluer tête nue. Pour les “seniors” cela reste un salut au rabais.

 

 

 

 

 

Frères ennemis

 

En 1915,  au Chemin des Dames, un aspirant français est projeté dans un trou d’obus en même temps que d’en face vient atterrir dans le même trou un officier allemand. Un même réflexe, a dit plus tard l’aspirant devenu général, les a fait se saluer et se présenter. Le salut de notre compatriote était ouvert, à la française; la réponse quasi simultanée de l’ennemi était un salut à l’allemande, un salut fermé en touchant son casque de la main, la paume en dedans les doigts serrés. Mais la même courtoisie, la même spontanéité dans les deux gestes, les deux saluts. Une deuxième explosion les a fait se terrer à nouveau et puis soudain courir à toutes jambes dans des directions diamétralement opposées.

Certains auteurs voient dans le salut militaire, qui existe dans toutes les armées du monde, un signe de paix entre deux guerriers. L’un et l’autre se croisent, s’abordent. Leurs intentions sont pures, ils lèvent la main droite, paume largement ouverte, afin de montrer qu’ils n’ont aucune arme, même celle qui existe de temps immémorial : le poing fermé. Comme on le voit, ce n’est pas le salut réglementaire, à la “Tit-Page”, bien que celui-ci en dérive. Mais ce salut n’a pas toujours existé. Le légionnaire romain se contentait d’une inclinaison du buste quand il passait devant un centurion. Plus rarement les deux soldats se serraient les avant-bras, s’empoignant entre coude et main. L’intention, non offensante, est évidente, comme dans nos modernes et françaises poignées de main.

 

 

 

 

 

Dans les pas de Darwin

 

Mais qu’est-ce qu’un salut ? Le mot vient du latin “Salus” qui veut tout bêtement dire salut, mais dans une acception ni religieuse ni sociale. Rien à voir avec la planche de salut. “Salus” c’est la santé physique ou mentale.

 Saluer quelqu’un, c’est lui porter un souhait de santé. Le terme “ santé” couvre tous les équivalents : bien-être, forme physique, silence des organes, bref paix. “Sois en paix”. C‘est le “Salam” des musulmans, le “Shalom” des Israélites. Rire est le propre de l’homme, parler aussi. Il est un langage sans paroles et donc de portée universelle : les gestes, les mouvements du corps qui, souvent mieux que des paroles, traduisent l’intention de l’opérateur. Comment fera-t-il pour signifier à son vis-à-vis qu’il lui souhaite la paix, qu’il ne veut pas l’agresser ? .“Je ne te veux aucun mal, au contraire”. Pour comprendre cette communication non verbale, il nous faut sortir de l’histoire des hommes et plonger dans celle des animaux. L’arrière-plan de notre comportement est imité de celui des autres animaux. N’oublions pas que nous sommes des primates, d’exception certes, mais des primates quand même. Allons au-delà des mains tendues et des paumes ouvertes. Dans le monde animal, l’agressivité est instinctive, pour deux raisons : Établir sa place dans la hiérarchie de sa société et assurer ses droits territoriaux. C’est la première raison qui va nous intéresser et elle seule. “Lequel de nous deux est le maître de l’autre ?” cette phrase muette est tout entière contenue dans le regard. C’est elle qui va inaugurer la rencontre. Contrairement aux idées reçues, deux animaux congénères qui se défient vont rarement engager une lutte à mort. Très vite apparaîtra une relation instinctive de dominateur à dominé. En une fraction de seconde, ils jugeront de leur valeur réciproque. Ici la menace, là la peur. Deux solutions pour celui qui se sait “inférieur” : fuir ou se soumettre. Comment montrer à qui de droit cette soumission ? On peut s’aplatir devant le “supérieur”, on peut ramper, s’accroupir tel le chien obéissant qui a entendu“couché”, on peut s’incliner. Un dénominateur commun : La hauteur du soumis va se réduire. Est-ce là de la lâcheté ? Les animaux n’en ont cure. Et nous, primates, d’exception, lissés par des millions d’années d’humanisation puis de civilisation que ferons nous dans la même situation? Tout simplement réduire notre “hauteur”, le mot n’est pas innocent. Que sont donc nos prosternations, nos génuflexions, nos révérences et autres courbettes ? N’est-ce pas là une façon comme une autre de réduire notre hauteur ? “Courbe le front fier Sicambre” disait saint Rémi à Clovis. Et quand le front est emboîté dans un couvre-chef, eh bien ! on va le déboîter, autrement dit se découvrir. “Chapeau bas” n’a pas d’autre but, diminuer sa taille et souvent s’incliner, ce qui va réduire encore plus la taille. Ce qui ne laisse pas de surprendre c’est que cette pratique qui semble immémoriale, du moins en France, ne date que du XVIIième siècle. Et cela est dû, ce qui surprend encore plus, à l’invention des cornes. Pardon !! Oui des chapeaux à cornes, deux ou trois.

 

Cornes et visières

 

L’usage des bicornes et des tricornes, plutôt des tricornes bien antérieurs aux premiers, ne répond pas à un souci d’élégance mais d’hygiène et de confort. On peut se couvrir en un tournemain quand on a trop chaud à la tête. Y-a-t-il moyen plus aisé pour ôter  son chapeau que de le saisir par une corne ? Et en même temps, on fait d’une pierre deux coups : on réduit sa hauteur, surtout si on ajoute à ce geste une inclinaison du rachis. Le salut militaire était alors identique au salut civil. On a coutume de reporter l’usage du tricorne à l’Ancien Régime et celui du bicorne à la Révolution. C’est vrai mais ce que l’on ignore souvent c’est que le passage de l’un à l’autre ne doit rien à l’idéologie mais à l’hygiène et à la sécurité. Dans les états-majors des armées de l’an II, les débats sont allés bon train : “Le tricorne garantit mal le visage de la pluie et, pire, pare moins sûrement les coups de sabre. Par ailleurs il gêne la manœuvre. À tout moment  le fusil du voisin dans les rangs rencontre les cornes du chapeau”. Mais rien n’a changé dans la façon de saluer : Toujours chapeau bas. Très vite, pour des raisons de commodité surtout chez les soldats en campagne, on a simplifié. Le geste a été esquissé, inachevé. Voilà pourquoi jusqu’à maintenant on salue, non plus chapeau bas, mais main au chapeau. Il va sans dire que si l’action est différente le résultat est le même. Plus question, en revanche, de s’incliner ni de réduire sa hauteur. La main grande ouverte affiche de façon on ne peut plus claire l’intention pacifique. Pas d’arme même pas la plus rudimentaire et pourtant la plus fréquente : le poing fermé. Le bicorne révolutionnaire,“ en ligne” ou “en bataille”, c’est à dire posé en long ou en travers, a poursuivi sa course pendant le consulat, l’Empire et même la restauration, concurrencé à partir des années 1800 par une autre coiffure dont la fortune va être extraordinaire : le schako. L’Empereur d’Occident va “l’emprunter” à son confrère, ami puis ennemi, l’Empereur d’Autriche, ci-devant Saint Empereur Romain Germanique. Ce sont les hussards hongrois de ce dernier qui portaient le schako. Sa particularité est d’avoir, à la place de deux ou trois cornes, une visière, cette avancée semi- circulaire et de consistance dure, aussi facile de préhension que la corne, mais qui ne quitte pas le front du “salueur”. La conquête de l’Algérie s’est faite en schako, du moins les premières années. L’inconfort considérable de ce tronc de cône haut de forme amena les états-majors à lui préférer ce que l’on appellera la “casquette d’Afrique” celle du père Bugeaud, plus basse de forme et surtout plus légère. Tous nos képis en sont les descendants, plus ou moins transformés selon les modes
et les temps. Les tenues de tradition des gardes républicains et des élèves de Saint-Cyr ont conservé le schako.


                                                                votre serviteur, le claviste, à gauche, le bicorne “en ligne” , à l'École de Santé de Lyon à la fin des années 50.

 

Trois vertus, un seul signe

 

Nous avons dit que rire est le propre de l’homme  et parler aussi. Il est une autre activité bien plus spécifique : Créer des symboles. Que serait notre salut sans sa valeur symbolique ? Une gesticulation aussi bizarre que risible. Sa portée  symbolique, en revanche, est admirable, à mille lieues des convenances  sociales ou mondaines. La main au front ou à la tempe, les doigts serrés et la paume ouverte, c’est trois choses, trois vertus en un seul signe. Reconnaissance tout d’abord, un signe de reconnaissance : “Nous sommes du même monde”. L’armée est une grande famille, celle des frères d’armes. C’est une confrérie, un mouvement, comme les scouts, les francs-maçons et, jadis, les chevaliers des ordres militaires et religieux.“Qu’il est bon et qu’il est agréable de vivre avec ses frères !” disaient les Templiers. La seconde valeur du signe est la fidélité. Fidélité à une cause commune pour laquelle on se dévoue quel que soit le grade. Fidélité au serment et à la discipline acceptée. Et enfin la courtoisie engendrée par un mutuel respect, même, on l’a vu, dans le trou d’obus du Chemin des Dames, quand les nationalités sont différentes. Objection : c’est toujours le moins gradé qui prend l’initiative. C’est vrai mais en apparence seulement. Lisons l’ancien règlement d’avant 1914 : “L’officier et le soldat ne font qu’échanger le salut. Le soldat prévient le geste de l’officier. Il le fait par pure courtoisie. Loin de lui manifester dépendance ou servilité, l’inférieur donne au supérieur, c’est à dire à son chef, une marque de confiance. Il faut y voir la certitude que, tous deux, se donnent de pouvoir compter l’un sur l’autre.

 

 

Sur un quai à Bruxelles

 

Laissons à un grand soldat le mot de la fin, de la fin de cette apologie du geste le plus emblématique de l’armée. Bien avant d’être le maréchal Leclerc, l’aspirant Philippe de Hautecloque était en garnison dans une ville du nord. Nous sommes en 1923. Au cours d’une permission, l’occasion lui est donnée d’aller en Belgique. À Bruxelles, il attend une correspondance sur le quai de la gare. Le train arrive, s’arrête. À quelques dizaines de mètres de lui, il voit descendre un officier belge, capitaine commandant de lanciers. Gigantesque ce cavalier, large d’épaules, splendidement sanglé, bottes noires et luisantes, ceinturon verni soutenant un sabre de cavalerie à la dragonne pailletée de fils d’argent, pattes d’épaules tout aussi rutilantes. Au bas du marchepied de son wagon, une ravissante jeune femme l’accueille. Le couple se met en marche vers l’aspirant dans la lus grande jovialité et le plaisir de se retrouver. Comme  je me trouvais mesquin, avoue bien plus tard le jeune français, dans ma tenue ordinaire, capote bleu horizon, souliers ternes, valise aux pieds. Sans parler de ma petite taille. Seules taches de couleur, les plumes de mon casoar. Quand le couple merveilleux fut à dix pas de moi, je m’empressai de rectifier la position et d’élever énergiquement la main à la visière de mon schako. Alors le sourire du prestigieux lancier se fige ; il cesse de causer avec sa compagne. Il tourne vers moi un visage d’une sérieuse gravité et, me regardant avec intensité, porte à sa casquette sa main gantée de blanc.

Qui pouvait plus qu’un maréchal de France mettre un point d’orgue à cette apologie du plus emblématique de nos rites militaires ?

                                                                      Brest, le 25 septembre 2009

                                                                                     H-J Turier
         Le Général De Lattre au milieu

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

J-P Bertaud : La vie quotidienne de soldats de la Révolution

                             Hachette 1983

Desmond-Morris : Le singe nu

                   Bernard grasset 1968

Roland-Landry : Quand les militaires saluent.

                    In “Le Miroir de l’Histoire ” N° 152 d’août 1962

 

 

 

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10 septembre 2008 3 10 /09 /septembre /2008 15:05

Voici un nouveau texte de notre ami H-J Turier qui allie érudition, humour et second degré, goût du paradoxe mais,également, qui incite  à la réflexion.
Vous aussi, chers amis sociétaires, n'hésitez pas à nous proposer vos propres textes, souvenirs, récits de voyages, réflexions, contes et nouvelles etc....Le comité de lecture (dont je suis le seul membre !) vous promet d'être très indulgent !! N'hésitez pas non plus à nous faire part de vos commentaires sur les articles; promis: Edvige n'en saura rien!!

 

D’OS ET DE CHAIRS

Sacrum, Sacré, Sacrifices

 

 

Chacun sait, du moins tous les médecins, que l’ostéologie est une discipline de base des études médicales. Et cela se comprend : quoi de plus solide dans une constitution que sa charpente ? En revanche, bien rares sont ceux qui connaissent l’étymologie des noms des quelques deux cents segments de cette charpente osseuse. Ils, goûtent ces privilégiés, une science passionnante. Là, dans mon nez, un “vomer” qui est un soc de charrue. Ici, dans mon avant-bras, côté interne, un cubitus, l’os du décubitus. Pardon ! Décubitus est le mot pédant pour “position allongée” que nos anciens prenaient pour manger et certains d’entre nous encore aujourd’hui qui prennent leur café ….au lit sur un plateau. C’est ainsi, tout s’explique. Les tibias sont des flûtes. À la Renaissance  les créateurs de cette terminologie plaisante ont voulu qu’elle soit en latin, noblesse oblige. Ambroise Paré est le premier qui a osé parler médecine en langue vulgaire. Il est vrai que le “chirurgien des rois” n’était pas médecin. C’est la forme des os du corps ou leur fonction qui a justifié leur nom de baptême. En général ça marche, mais parfois il y a un “os” ! Tenez ! Le sacrum par exemple. Cet empilement de vertèbres soudées les unes aux autres en sandwich entre les deux os coxaux et coiffant le coccyx. Autant je comprends ce “bec de coucou” terminal qui fait que nos ne sommes pas tout à fait “anoures” (sans queue), autant le sacrum m’est un mystère. Sacrum, neutre de sacer désigne un sanctuaire. Ah ! Je croyais naïvement que le sanctuaire en question était l’appellation romantique du bassin, creuset de la fécondité ou de la maternité, assise de l’utérus alias la matrice (ce dernier plus poétique que l’autre qui veut dire “outre”). Que nenni ! m’ont dit d’une seule voix messieurs Delaveau et Rey bien connus des lecteurs de D.L.F pour le premier et du bulletin de l’ordre des médecins pour le second. Ce n’est pas ça du tout. Le sanctuaire est un vrai sanctuaire, antique bien entendu. Et j’apprends que dans ce haut lieu du culte l’invité d’honneur, le taureau par exemple, le mouton ou le porc, était “sacrifié”  et que les augures pratiquaient l’observation des “extas”, nous dirions des entrailles, avant de les offrir à la divinité. Ces “extas” qui pour nous seraient tout bonnement des abats (foie, poumons, cœur) étaient donc les morceaux choisis contenus dans le bassin dont la pièce maîtresse était le fameux sacrum, des fleurs en quelque sorte dont le vase, le calice, serait cet ensemble osseux. Cette explication savante ayant piqué ma curiosité je n’ai pas tardé à fouiller, moi aussi, non dans les extas mais dans les “bons auteurs”et, avant“les mots latins”et “les mots grecs” de Martin.. Que veut dire “sacer” ? Il veut dire “que l’on ne doit pas toucher”, avec la double signification ambiguë : bénit ou maudit. Quand on dit : “sacré temps de chien” on pense au sens négatif que nos voisins du Royaume Uni traduiraient par “damned”. En revanche, ils ne sont pas loin de considérer leur souveraine comme bénie des dieux, comme le sont par une fiction qui a traversé les siècles toutes les têtes couronnées dès l’instant où elles ont été “sacrées”. La cérémonie du sacre confère à celui qui en a été gratifié une dignité quasi sacerdotale, le diaconat. Nos rois de France étaient promus au rang de chanoines du Latran parce qu’ils avaient été sacré à Reims et donc rendus “intouchables”. On se souvient du tollé qu’avait provoqué outre-Manche la vision de notre chef d’État qui avait mis la main, qui avait osé mettre la main, lors d’une visite à Paris sur les épaules de Sa Gracieuse Majesté“Noli me tangere” ou en langage moins soutenu : “bas les pattes”.

 

 

ANTHROPOMORPHISME

(Des dieux à notre image)

 

   Dans toutes les religions du Vieux Monde ou du Nouveau, religions du Livre ou de la Nature, on attend de la divinité, quel que soit son nom, qu’elle accorde une protection à ceux qui ont recours à elle. À l’origine de tous les cultes est cette espérance et son corollaire la gratitude quand la réponse a été obtenue. Traduction terre à terre : “S.V.P et Merci”, mais traduction trop sommaire. On ne s’adresse pas à une entité transcendante de façon si cavalière. Comment alors ? Par des prières, des vœux ou des offrandes. Si les prières et les vœux sont “sine materia”, c'est-à-dire virtuels, il n’en va pas de même des offrandes qui, destinées à un être “sacré”sont elles-mêmes sacrées, dans le sens archaïque du mot “sacre”. Toute offrande est “stricto sensu” un sacrifice qui n’a pas besoin de la coloration sanglante qu’on lui prête trop souvent. Mais sanglante ou non, animale ou végétale, elle doit obéir à un impératif : agréer à celui qui l’accueille. Comment agréer à un pur esprit ?

Beaucoup plus simplement qu’on ne le croit. Les hommes créent leurs dieux à leur image. L’anthropomorphisme est éternel et universel. Il est convenu de les doter des sentiments, des désirs et des sensations des mortels qui les implorent ou les remercient. Comment faire autrement ? Ce qui fait, que les théologiens me pardonnent, qu’on s’efforce de séduire ces hôtes de l’au-delà, Olympe ou Paradis, de les flatter, d’apaiser le cas échéant leur courroux (eh oui ! “Minuit chrétien” souvenez –vous). Certes, mais comment ? Quelles offrandes, quels sacrifices ? Passent encore que les Etres Suprêmes aient des désirs, des sentiments des émotions qui restent ce que Renan appelait l’éther métaphysique. Mais des sensations ? Qui dit sensations dit organes sensoriels. Eh oui ! Métaphoriques ou concrets, ces yeux et ces oreilles sont là. Ne disons-nous pas dans nos prières ou nos méditations : Ô Dieu, vois mes actions, entends mes supplications… ! Va-t-il aussi respirer l’odeur de l’encens, le parfum des fleurs ? C’est encore plus vrai. L’odorat est la plus archaïque de nos sensations disent les physiologistes. Vous en doutez ? Ne vous arrive-t-il pas de dire d’un être malveillant que vous ne pouvez pas le sentir ? Pour les habitants de l’Olympe ou du Paradis, il en va de même.

 

ODEURS SUAVES DES CRÉMATIONS

 

 

   Mais revenons à nos sacrifices, aux sacrifices animaux les plus fréquents et de loin dans les civilisations antiques. Ils concrétisaient, nous l’avons dit, la demande ou la gratitude. Le taureau, le mouton, le  porc immolés sur l’autel ne devenaient sacrés que s’ils accédaient au monde du sacré et ce passage, c’était la mise à mort. Mais comment le pur esprit destinataire de l’offrande et résidant dans le séjour extraterrestre va-t-il profiter de ce sacrifice sanglant ? Comment va-t-il l’absorber ? Il va le faire en le respirant. Privée de son sang, car le sang c’est l’âme, la victime va être brûlée, grillée, rôtie, peu importe le terme utilisé. La senteur agréable de la crémation va monter aux  narines du Tout-Puissant. Seule l’enveloppe charnelle intéresse ce Tout-Puissant mais après brûlage. Mort et feu sacré sont les deux conditions d’accession à la divinité. Habitant le Panthéon ou le ciel du dieu unique, adoré par les Grecs ou les descendants d’Abraham, l’Inconnaissable apprécie ce genre d’offrande. Le sacrifice peut se faire dans les deux cultures, sous deux formes. Il y ale sacrifice parfait ou d’adoration, c’est l’holocauste. Il y a, et c’est de loin le cas le plus fréquent, le sacrifice mixte ou de réciprocité. La combustion est incomplète. Seule la fumée va au dieu, le reste, la partie non brûlée, va à l’assistance, distribuée par le scarificateur ou le prêtre, vicaire de l’Invisible. À lui de partager ce que ce dernier a bien voulu octroyer à ses adorateurs. Sacrifice de réciprocité. On sait que le clergé se taillait dans ces restitutions la part du lion. C’est de bonne guerre, dans les holocaustes, il n’avait rien.

 

 

 

 

OFFRANDES AGRÉABLES OU NON

 

 

   Les premiers holocaustes de l’histoire du monde sont ceux de Caïn et d’Abel. Les deux fils d’Adam et d’Eve tenaient à rendre hommage au Créateur. Abel était pasteur et Caïn cultivateur. Tous deux firent brûler leur offrande sur un autel de Pierre à ciel ouvert, un agneau premier-né. Le fumet de la chair se consumant serait, pensaient-ils à juste titre, une senteur suave pour leur divin maître. Résultat : succès pour Abel, échec cuisant pour son frère. Que s’était-il passé ? Un phénomène psychologique vieux comme le monde. Ce n’est pas la nature d’un cadeau qui a de la valeur, c’est l’intention qui la sous tend. Les sentiments intimes du cultivateur, à l’encontre de ceux d’Abel, étaient mauvais : orgueil et jalousie, cette jalousie cause du premier homicide de tous les temps. Homicide et fratricide. Et c’est ainsi nous dit la Genèse et que répètent nombre de bas-reliefs d’enclos paroissiaux de Bretagne, qu’on a pu voir la fumée d’un autel monter droit vers le ciel et l’autre impitoyablement rabattue vers le sol. L’Éternel n’en voulait pas. Aussi célèbre que cet holocauste, celui de Noé au sortir de l’Arche. En gratitude envers celui qui l’avait sauvé des eaux, il sacrifia lui aussi sur un autel de pierre. Le parfum de son offrande fut respiré avec satisfaction et Dieu bénit Noé et sa famille. En signe d’alliance apparut le premier arc- en- ciel Plusieurs siècles plus tard, Moïse, un descendant d’Abraham, venant du Sinaï, les bras chargés des Tables de la Loi, voulut lui aussi remercier dieu, qui venait encore de faire alliance avec le peuple élu, une alliance scellée cette fois non dans le ciel, mais dans le sang d’un taurillon dont fut aspergée l’assistance au pied de la montagne sacrée. Les juifs doivent beaucoup à Moïse et avant tout la fin de leur esclavage en Égypte. Ils s’en souviennent encore aujourd’hui : l’agneau pascal est le signe de cette commémoration ; c’est encore un sacrifice mais de réciprocité ; il n’est pas brûlé entièrement mais sert à des agapes festives et fraternelles, avec ou sans rabbin.

 

 

IL Y A AGNEAUX ET AGNEAUX

 

 

   Autant Dieu le Père des chrétiens, Dieu unique des Hébreux prisait en son temple les offrandes de chair et de sang, autant Dieu le fils, la deuxième personne de la trinité les tenait en piètre estime : “ Vous avez fait de la maison de mon Père un repaire de brigands”. Il n’avait pas de mots assez durs pour ces pratiques sacrificielles barbares transformant le lieu de culte de Jérusalem en abattoir, notamment à la Pâque. Plus profondément que le taurillon du Sinaï, cet agneau pascal a marqué le peuple élu. Pour les chrétiens il  a une résonance particulière. Il rappelle le dernier repas de Jésus et le premier repas eucharistique, c’est à dire le premier saint sacrifice de la messe. Les deux alliances se sont côtoyées sur la même table, la table de la chambre haute d’une auberge de Jérusalem. Le mystère de l’Eucharistie est né de ce repas, la Cène. L’Agneau de Dieu, annoncé par Jean-Baptiste annonce à son tour aux douze convives apostoliques non seulement sa mort prochaine mais la métamorphose  mystique du pain et du vin en sa chair et son sang. Ce pain et ce vin sacrés, aussi curieux que cela puisse paraître, ne doivent rien aux descendants d’Abraham ni même au culte hébraïque. Un roi de Salem (la Palestine actuelle), à la fois monarque et grand prêtre du Très Haut, utilisait ce type d’offrande non sanglante pour ses sacrifices. Abraham était une sorte de vassal de ce souverain auquel, dit la Genèse, il payait la dîme. La Bible ne parle plus ensuite de ce genre de sacrifice, mentionné par le symbole des apôtres de Nicée.

Son nom : Melchisédech.

 

 

 

IL Y A CONCILE ET CONCILE

 

 

   Deux conciles ont ébranlé, à quatre siècles de distance, l’Église et sa relation au sacré. Le premier est  celui de Trente au XVIième siècle. La Société de Jésus, aile marchante et fer de lance de la papauté, institue la Réforme catholique. Pour faire pièce à l’hérésie naissante, on va  mettre en valeur tout ce qu ‘elle refuse dans le dogme et dans le culte : pensées, paroles, actions, objets d u culte…Rien n’est trop beau pour faire des églises des “Paradis sur terre”. On appellera “Saint Sacrifice de la messe” la Cène, qui n’est pour les protestants qu’un mémorial du dernier repas, à honorer certes mais pas plus qu’une commémoration du lavement des pieds du Jeudi Saint. Va de pair avec cette montée en puissance du sacré qui lui convient parfaitement, la promotion du cléricalisme, c’est à dire de l’influence des prêtres. Les fidèles ne se posent pas de questions et ont peur du sacré, une peur entretenue par la pastorale.

   Le deuxième concile est Vatican II, des années 60 du XXième siècle. C’est encore un vent nouveau mais qui souffle en sens contraire du premier. La sacralisation redoutable n’est plus qu’un souvenir, la culpabilité aussi. Plus rien n’est intouchable dans les lieux saints. De plus en plus de croyants se disent non pratiquants et un clergé atteint de plein fouet par une crise des vocations sans précédent cède la place aux laïcs qui s’accommodent très bien de la nouvelle liturgie. Il faut marcher avec son temps et on le fait à grands pas, s’éloignant des chrétiens orthodoxes chez qui tout est sacré et se rapprochant des protestants chez qui rien ne l’est. La religion des temps nouveaux met l’accent sur sa dimension horizontale, l’amour du prochain, alors que l’ancienne le mettait sur le culte de Dieu. Le “Saint Sacrifice de la Messe” est devenu Eucharistie, s’est fait partage, pain partagé pour un monde meilleur.

 

ÉPILOGUE

 

-“ À quoi bon, Mère Teresa, vous tuer pour ces moribonds qui, demain, ne seront plus là ? ”

C’est un journaliste parisien qui, au cours d’une épidémie des plus meurtrières de dysenterie qui ravageait les bidonvilles de Delhi, s’étonnait de ce dévouement inutile.

-“ Que peut-on faire à ce stade ? Une dernière prière, une dernière bénédiction ? ”

-“ Mieux, Monsieur, beaucoup mieux : un sourire. Le vrai bonheur de tout être humain n’est-il pas d’exister, ne serait-ce que dans le regard de celui qui est près de lui ? Un dernier sourire pour viatique, est-ce inutile ?

   Cette phrase admirable de cette émule féminine de Saint Vincent de Paul est à rapprocher de la réponse d’un père de l’Église du Haut Moyen-Âge à un fidèle qui lui demandait comment il fallait se représenter Dieu : “ Tu as vu ton frère, tu as vu ton Dieu ”

 

*DLF : “Défense de la langue française”, organisme dont le Professeur de Pharmacie Pierre Delaveau est membre.

   ** Noli me tangere : Ne me touche pas.

 

Brest, le 1er août 2008

Docteur H-J TURIER

 

 

 


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5 juillet 2008 6 05 /07 /juillet /2008 15:44


Bientôt sur notre blog, un grand article de notre ami H-J Turier sur un épisode méconnu de l'histoire de Brest, l'épidémie de typhus de 1757 et intitulé :

                                     “La terreur oubliée”.
À ce sujet, le docteur Turier fera le récit de cette terrible affaire , pendant les cinq jours de Brest 2008 sur le quai de la rive droite de la Penfeld à des horaires qui vous seront communiqués ultérieurement.

                                                
                                                 

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25 novembre 2007 7 25 /11 /novembre /2007 17:23

 

 

Voici un texte de notre condisciple le docteur H-J Turier tiré des conférences rennaises de la médecine et de la santé 1994-96. vol 6

 

 

Même si l’on n’est pas médecin, on ne pourra qu’apprécier la verve, le talent littéraire et le souci de vulgarisation de notre ami.

 

 

 

 

TISSUS OSSEUX ET PARTIES MOLLES

 

 

(Comment on parle en ostéologie)

 

 

H-J TURIER

 

 

 

 

“Heureux qui comme Adam entre les quatre fleuves

 

 

Sut nommer par leur nom les choses qu’il put voir”

 

 

  1. France

     

 

 

Introduction

 

 

 

 

  Lequel des “santards” des années 50 ne se souvient de sa première leçon d’anatomie et même de la première phrase de celle-ci, extraite du traité d’anatomie humaine en six volumes de Testud et Latarjet. La lecture du premier de ces livres ouvrait pour lui ce qu’il considérait comme la science médicale de base : l’ostéologie.

 

 

    “La clavicule est un os long, pair et symétrique, contournée à la manière d’un S italique et étendu comme un arc boutant entre la poignée du sternum et l’omoplate”.

 

 

    Chacun de ces santards, à l’encontre de ses condisciples civils de la faculté avait la chance de pouvoir compléter son étude théorique des os par la contemplation et la manipulation de spécimens en vraie grandeur nature de la célèbre boîte à os que l’école de santé lui faisait gracieusement découvrir en même temps que son premier uniforme, ses premières cigarettes “troupe” et les fameux Testud.

 

 

    Une révélation pour moi en ces soirées inoubliable d’octobre 1953 fut ces os sur lesquels je pouvais mettre la main et aussi cette science, l’ostéologie, totalement inconnue mais à laquelle je trouvais aussitôt des ressemblances curieuses avec la familière  et banale géographie. En “ostéo”, à bien considérer, suis-je vraiment en terre inconnue ? Chacun sait que la règle d’or de toute bonne pédagogie est de faire cheminer l’élève du connu à l’inconnu. Et bien ça marche ! En cheminant au fil des os qu’il a en mains et des pages du Testud qu’il a sous les yeux, l’élève médecin de première année retrouve en effet dépressions, tunnels, replis, couloirs, crêtes et arêtes. Et quel langage exquis. Mes cavités et mes fosses sont comblées, me dit-on, “à l’état frais” par des parties molles. Ces parties molles, absentes ou présentes sont de la même veine que “les pertes de substance” ou les “solutions de continuité” que je rencontre çà et là, croisant des “bords tranchants” et des “bords mousses”. Cette boîte à os, vraie boîte de Pandore, est à la source de toutes ces merveilles. À vrai dire non, un os est une carte de géographie mais une carte muette. C’est Testud et Latarjet qui  parlent et qui parlent si bien. C’est eux qui mettent au jour ces excroissances, tubérosités, protubérances, saillies et autres dénominations sans échos dans des conversations “normales”, ce qui n’est pas le cas bien sûr des becs, pointes et éperons mais appliqués ici de façon insolite. Que de mots étranges ! Et j’en arrive aux vrais, les “ostéonymes”. Comment appelle-t-on les os ? Et d’abord  combien sont-ils ? 214 me disent d’une seule voix Testud et Latarjet.

 

 

    J’ai appris, ce jour-là, que le corps humain avait 214 os. Je croyais qu’il y en avait beaucoup moins. Dix ans avant cette studieuse soirée dans un box de l’ESSM, j’avais eu une autre leçon d’ostéologie, à l’école primaire, dans un modeste livre de “leçons de choses”. Je le vois encore mon squelette, un demi-siècle plus tard. Il semble au garde à vous, étalant ses articulations et ses os (ceux-ci sont plus nombreux que dans ma caisse, mais il n’y a en a pas 214 !). Ce jour-là j’ai cheminé aussi du connu à l’inconnu. Connus : le crâne, le tibia (à cause des protège-tibia et des affiches “danger de mort”), les vertèbres….Inconnus : le tarse, le carpe, le fémur et le péroné. Beaucoup plus nombreux les inconnus. Parmi ceux-ci il  en est aux sonorités cristallines et douces à l’oreille, lourdes de poésie et de rêve : astragale, calcanéum. Dans ce pâturage de mots je reconnais des mots français, ou qui sonnent français, mais la plupart viennent d’ailleurs…

 

 

    Quelle est cette langue qui finit ses mots en “us”, “a”, “um” ? Je n’en sais rien et mes camarades non plus si j’en juge par un  commentaire : “Un des os a un nom de légume. Lequel ? Le radius !”. Je ne dis rien mais je pense plutôt que mes os ont des noms de prière : humérus, tibia, sternum riment avec “orémus”, “hostia”, “Te Deum”. Associer le naturel et le surnaturel ne me semble pas sacrilège. Mieux ! Cette promiscuité des  choses du corps et de celles de l’âme  a une saveur étrange de fruit défendu.

 

 

 

 

Un coup dans les roulettes

 

 

    “Il voulait me donner un coup de pied dans la flûte et je l’ai chopé dans la roulette”. Où est-on ? De quoi parle-t-on ? On dirait une phrase sortie d’ roman d’Eugène Sue. Ô arcanes mystérieuses de l’étymologie ! Nous sommes encore en anatomie, mais celle de Dauzat, Dubois et Mitterrand. Ces trois auteurs m’apprennent en effet que “tibia” est un mot latin, qui veut dire “flûte”. La première flûte dont a joué Homo Erectus a-t-elle été son gros os de la jambe ? Les roulettes n’ont rien d’inconvenant, ce sont les rotules ou petites roues. Quant à mon foie, partie molle, c’est une figue. Pour rendre aux mots savants de notre temps leur signification et leur pureté primitive débarrassons-les de leur gangue ésotérique. “J’appelle un chat un chat”, même si ce faisant j’ai un peu le sentiment de faire descendre un gentilhomme d’un laboureur.

 

 

    Mon dictionnaire étymologique m’amenait de surprise en surprise telle Alice au pays des merveilles ou Ali Baba dans sa caverne, piquant ma curiosité comme l’eut fait un radius (“radius” n’est ni un radis ni un rayon mais une baguette pointue, c’est ainsi). Qu’elle était fructueuse et intéressante ma chasse aux papillons avec ou sans filet mon Dauzat.

 

 

    ON n’apprend plus, on comprend et donc on retient. “Vomer” là dans mon nez est un soc de charrue, “thorax” au-dessus de ma ceinture, une cuirasse. “Sacrum” est non un sanctuaire mais l’os du sanctuaire laissé sur place après les holocaustes. “Coccyx” un coucou. “Korakos” qui a servi à baptiser l’apophyse coracoïde, un corbeau.

 

 

    Tout devient limpide tel ce crâne fils de “karenon”, la tête (mon lexique a précisé là : archaïque). Je comprends à présent mon olécrane qui n’est qu’une tête de bras (où avais-je la tête !).Certes tout n’est pas aussi transparent (on ne disait pas “transparent” à l’époque mais clair ou limpide). Il m’arrive dans cette quête de tomber sur un “os” ! Tels le carpe et le tarse qui sont, Dauzat dixit, une jointure et une claie. De fil en aiguille je passe d’un mot que j’emploie assez peu, la claie, à un autre que j’utilise presque chaque jour et qui en est l’écho : la clef. “Clef” c’est en latin “clavis”. “Clavicula c’est une petite clé. Ma chère clavicule ((est-ce une gauche, est-ce une droite ?) n’est qu’une petite clé.

 

 

    Mais une clé avant d’être la solution d’une énigme ou l’ouvreuse d’une porte c’est une tige qui s’enfonce, qui s’enclave comme un clou, son cousin étymologique. Tout s’éclaire. Un horizon inattendu se découvre à mes yeux, reculant à mesure que j’avance. Magie des mots !

 

 

 

 

Le français des halles

 

 

 

 

    “Il aurait mieux valu ne se servir que des mots qui servent aux halles de Paris”

 

 

    Qui parle ainsi ? Montaigne.

 

 

    “Que puérile et pédantesque l’ambition de rechercher des mots peu connus !”. C’est Ambroise Paré qui le dit, le père de la chirurgie de guerre, le roi des chirurgiens et le chirurgien des rois. Toute l’histoire de la médecine montre que le latin et le grec (mais le grec nous est venu par le latin) ont toujours été préférés à la langue vernaculaire. Certes depuis l’Antiquité et jusqu’à la Révolution la liturgie et l’enseignement (tant profane que sacré) se faisaient en latin et ce dernier était le lien entre les étudiants des différents “quartiers latins”. C’est vrai. Mais que les autres “clercs” soient nourris de ces langues mères, passe encore. Mais les médecins ? Ne parlaient-ils donc pas le langage de leurs clients ? Non, ils ne le faisaient pas. Quelle importance ? Qui ne sait, depuis Molière, que les discours des docteurs s’adressent aux docteurs et non aux malades ? Erreur ! Ils s’adressent aussi aux apothicaires. Pas toujours capables de déchiffrer les gribouillis des ordonnances en latin, ils confondaient les remèdes prescrits, mettant l’un pour l’autre, “qui pro quo”. Un proverbe le disait bien : “de deux choses, Dieu vous garde : Des qui pro quo d’un apothicaire et des cætera d’un notaire”.

 

 

    Les docteurs ont surtout affaire aux chirurgiens et à un degré moindre aux barbiers. Les chirurgiens et bien sûr les barbiers ne sont que des “ouvriers manuels”. Ce sont, comme l’étymologie l’assure, des “hommes de main, de sang et de vile pratique” Ils n’appartiennent pas à l’université.. Bien que “chirurgien du roi”, Ambroise Paré n’en a pas fait partie et n’aurait pas dû savoir le latin. Mais si grand était le prestige de cette langue, celle des vénérés anciens Aristote, Hippocrate, Galien et Avicenne, ces “géants qui nous ont précédé et sur les épaules de qui nous sommes juchés”…que lui aussi, pour être pris au sérieux, se dut sinon sinon de parler couramment le latin, du moins d’apprendre l’équivalent latin des mots courants et d’abord de son nom de baptême : Ambrosius Pareus. Aux quatre coins du monde savant et éclairé, la mode voulut qu’on troquât son patronyme contre un autre en “us” : van Wesael devint Veselius, du Bois Sylvius. Ces deux illustres anatomistes sont passés sous cette forme à la postérité, Ambroise eut la chance de rester tel qu’en lui-même, de garder le nom qu’il avait quand il allait à Angers ou à Laval crever les abcès ou raser les mentons.

 

 

    À la Renaissance, nous dit Sournia dans sa remarquable “Histoire de la médecine”, le lexique latin a fourni des apports massifs à notre langue. Et mon lexique à moi (qui est en français) me montre ce foisonnement de mots nouveaux. Tous les “ostéonymes”, ou presque, sont venus à nous après le XVIème siècle, age d’or de l’anatomie. Mais alors se pose une question. Et avant ? Ne connaissait-on donc pas les os ? Le Moyen Age, s’il n’est pas l’âge d’or de l’anatomie, est bien celui de la chrétienté, de la dévotion aux saints, le triomphe des pèlerinages et des reliques. Qui dit relique dit os.

 

 

    Il en est d’autres qui n’ont pas du tout cette odeur de sainteté, ceux qui tombent comme pommes mûres des pendus, accrochés aux gibets, potences et autres bois de justice haute, macabres grappes oscillant au vent sous les vols criards des corbeaux (korakos). Bénits ou maudits, tous ces ossements n’avaient-ils aucun nom ? Quel besoin d’appellation précise après tout pour des choses dont on n’a pas l’usage ! Il suffira de dire os de la tête (la relique par excellence), gros os de la jambe, petit du bras. Sans faire de détail. Par ailleurs l’église, donc l’université, a interdit la dissection, ou anatomie des corps, qui eut été profanation du temps de l’âme. On respecte le cadavre humain qui attend donc en paix le Jugement Dernier. La vénération dont est l’objet le crâne ne vient pas de ce qu’il a été le réceptacle du cerveau ou le siège de la pensée mais de ce qu’il ressemble à une boule et la forme divine, a dit Platon, est la sphère. L’anatomie clinique n’est pas née.

 

    Petits membres et jointures

 

 

- “Vous avez souvent anatomisé des cadavres ?” demande un jour Ambroise Paré à Vigo, célébrité du moment.

 

-“Quelle horreur, je ne suis pas chirurgien, mais médecin”. Ce qui veut dire plus propre à caqueter en chaire, extraire la quintessence et réciter des versets de Galien ou d’Avicenne qu’à arracher les secrets aux corps. Mais il savait mieux que personne appeler “bracchium”, “dorsum” et “rachis” ce que chirurgiens, barbiers et malades appelaient bras, dos, épine ou échine.

 

    Comme le français n’est que du latin évolué et vieilli, avec des mots rétrécis, patinés, polis on peut dire que Vigo et ses pareils remontaient aux sources. “Oculum”, “auriculum” disaient les bonnets pointus, “œil”, “oreille”, répondaient en écho les “ouvriers manuels”. La filiation n’est pas toujours aussi transparente là non plus. Et il y a des surprises.

 

    “Article” vient d’“articulus”, cela saute aux yeux. Qu’est-ce qu’un articulus ? Pour les latinistes c’est un petit membre. Cela l’est resté chez les hommes de loi et peut-être chez les grammairiens. Ce ne l’est plus chez les anatomistes. C’est une articulation, rien de plus, employée d&ans le discours littéraire des médecins, un brin désuet : l’arthrose s’attaque aux petits et aux gros articles. Rabelais eut dit “les petites et les grosses jointures”. Cela dit, “petit membre et jointure, ce n’est pas bonnet blanc et blanc bonnet.

 

    Et si nous allions en quête de vrais petits membres dans notre squelette. Je vous convie à voyager à travers les os et les mots pour le dire, de bas en haut de notre armature, des pieds à la tête. Que trouvons nous à l’embarcadère ? Les orteils. Orteil, me dit Dauzat, est un articulus malmené si j’en juge par ses deux syllabes qui en remplacent quatre. Voilà un mot qui n’a plus ni queue ni tête, ayant troqué son “a” initial pour un “o”. Qu’il ait perdu sa queue, rien que de très banal. L’accent tonique au fil des siècles a tout contracté, condensé, ramassé comme dans “oculum” devenu “œil”. Mais perdre la tête ! Bigre ! Dauzat ne serait-il pas trompé ? Eh oui, il l’a fait ! Un hasard m’a fait mettre la main sur un autre lexique, un lexique franco gaulois. Nous oublions trop souvent que nos ancêtres sont les Gaulois. En gaulois un mot existe : ORZ qui veut dire “maillet”.Mon orteil est un “petit maillet”. À la bonne heure ! Et je comprends mieux mes orteils en marteau ! Jusqu’au XVIIe siècle, ajoute le dictionnaire des ancêtres, seul le gros doigt de pied portait ce nom d’orteil.

 

    Poursuivons notre croisière. À quelques centimètres de mes orteils, j’allais dire “à deux doigts”, voici des os beaucoup plus longs : les cinq métatarsiens. Comme j’ai bien retenu ma leçon, je sais que “tarse” veut dire “claie”. Au fil du courant je rencontre tous les os du tarse. Aucun ne mérite mon attention, ni le cuboïde en forme de dé, ni les cunéiformes en forme de coin. Grec encore, le scaphoïde, en forme de bateau. Voici deux vieilles connaissances : le calcanéum servant à fouler le sol comme un fléau moissonnier, façon latine et l’astragale : Que veut-il dire celui-ci ? Dauzat m’affirme qu’il est grec, je m’en doutais, et qu’il signifie : petit os ! Plaît-il ? Eh oui ! Un “osselet”. C’est Charles Estienne qui, en 1546, a introduit dans notre nomenclature, sinon dans notre économie, ce curieux “article”. Quelque chose me dit qu’il y a erreur : “Errare humanum est…”

 

    Des vrais osselets, nous en avons bien d’autres. Remontons le courant. Quel autre “petit membre” allons-nous trouver ? Négligeons la “roulette” rotulienne (alias la “poêle” ou “patelle”). Certains anatomistes en ont fait un os “sésamoïde” (géant) du genou. Charles Estienne, toujours lui, a choisi ce grain de sésame pour désigner nos os surnuméraires. Nous voici à présent dans le “rachis”, alias “colonne”, “épine” ou “échine”. (Si colonne et épine sont du latin, échine, d’un langage moins soutenu, est celtique). Pas de petits os dans cette flexible et ondulante colonne spondylienne (Rabelais préférait à vertèbre de “vertere” : tourner, le moyenâgeux “spondyle”).Ces vertèbres ne sont pas des osselets. En queue de colonne, ou coccyx, il y a bien des petits articles, mais ils sont soudés en bloc et comptent pour du beurre. Admirons, chemin faisant, le curieux “sandwich” que formes les vertèbres bien françaises et un “nucleus pulposus” qui ne traduit pas ses origines. Nous aurons la même mixture dans le crâne et dans la face quand un frontal et un maxillaire qui sont de chez nous, se creusent pour abriter un “sinus” qui vient d’ailleurs. Mais revenons à nos osselets.

 

    Des vrais, en voici. Ils sont typiques au point d’avoir donné naissance au jeu du même nom : ce sont les os du carpe (le poignet des chirurgiens, la jointure de Dauzat). Ils sont au nombre de sept et évoquaient à nos anciens le bateau (scaphoïde), la toupie (rhomboïde), le pois (pisiforme) et bien d’autres choses. Ce ne sont pas les plus petits de nos os, les phalanges non plus (du grec bâtonnet). Les orteils de la main dont ils sont la charpente sont un bel exemple de cohabitation réussie entre deux sujets latins : index et médius et trois français : le pouce, l’annulaire et l’auriculaire (pour se gratter “l’auriculum”.

 

    Mais où sont-ils donc ces os “minima minimorum” ?

 

    Vous donnez votre langue au chat ? Donnez-lui votre oreille (“auricula” pour Diafoirus). Non pas votre oreille externe, bien que ce pavillon arbore lui aussi une peu ordinaire alliance franco latine, avec un hélix (spirale) et un tragus (bouc à cause des poils) qui fraternisent avec une conque et un lobe.

 

    Mais nous avons quitté l’ostéologie, retrouvons-la en pénétrant dans le domaine de l’invisible (invisible sans “spéculum auri”). Nous voici dans l’“aditus ad antrum” qui a gardé son estampille savante et un brin aristocratique depuis le XVIe siècle (accès de l’antre) tout comme le “tegmen tympani” ou toit du tympan          n (Ambroise ne disait pas tympan mais tambourin). Nous allons perdre notre latin en entrant dans la caisse de ce tambourin, ce faisant nous entrons nous aussi dans la danse, dans la danse des trois osselets qui n’ont jamais eu d’autre nom que celui de trois instruments de haute roture (deux au moins) marteau, étrier, enclume. Enfin, me direz-vous, des mots propres à ravir Montaigne qui eût pu les trouver aux halles à Paris à l’usage de tout le monde et pas seulement des cuistres à robe longue et bonnet pointu. Voire : Ne nous réjouissons pas trop vite. Le latin que l’on croyait absent de la chaîne des osselets ne l’est pas du tout ; sorti par la porte, il entre par la fenêtre, non plus avec les professionnels de la médecine mais avec ceux de la grammaire. Si le nom (substantif) est français, l’adjectif dérivé de ce nom, remontant le temps, redevient latin ou grec. Comment s’appelle la jointure entre un étrier et une enclume ? L’articulation incudo-stapédienne. Comme vous dites.

 

    Nous voici bien loin de Lyon, de la boîte à os et de sa clavicule. Pas si loin que cela. Pendant des années je croyais, serai-je pardonné, comme vous sans doute, que la cheville était la jointure (l’articulation) entre la jambe et le pied. Quelle erreur ! Une cheville est la forme populaire de la clavicule me disent d’une seule voix Dauzat, Dubois et Mitterrand, donc une “petite clé”. Le petit Chaperon rouge aurait dû me mettre sur la voie avec sa “chevillette”, qui n’est que la version domestique de la “cheville ouvrière”.

 

 Je comprends tout, notamment que ces chevilles ne sont que des tiges de bois qui s’enfoncent. Dans mon cou-de-pied rein ne s’enfonce mais là, à droite et à gauche, ces deux rondes “protubérances” ne ressemblent-elles pas, comme deux gouttes d’eau, à deux têtes de gros clous ? Les voilà mes chevilles. Le breton, qui est au gaulois ce que le français est au latin, ne s’est pas trompé, qui baptise “notre” clavicule : celle d’en haut, cheville de l’épaule et l’autre en bas : cheville du pied. Il fait mieux ce breton, comme s’il voulait me donner raison et me faire un dernier clin d’œil. Savez-vous comment il appelle la pupille ? La cheville de l’œil. Quand je disais que l’étymologie est délicieuse !!

 

                                                                         Docteur Henri-Jean Turier

 

*santards : élèves de l’École du Service de Santé de Armées de Lyon par opposition aux “navalais” de l’école de Bordeaux

 

 

 

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