Voici un court article que le Dr Turier appelle un simple exercice de style. À vous de juger!
SOIT DIT EN PASSANT
“Tu veux ou tu veux pas ?” Qui ne se souvient de ce titre d’une chanson, passablement populaire d’il y a une trentaine d’années. C’est une question qui est posée. Dans un langage plus soutenu et donc plus correct, on dirait : -“Veux-tu ou ne veux-tu pas, c’est oui ou c’est non ?” Les militaires préféraient, moins sujets à confusion : affirmatif ou négatif ? Toute action a son contraire, toute médaille son revers, toute lumière son ombre. La France se singularise par sa façon de dire non. Pardon ! Oui. Lisez ou mieux écoutez nos voisins européens quand ils parlent du myosotis, que disent-ils ? “Forget-me-not”, “Vergißmeinnicht”, “Nomeolvides”. Un verbe et un adverbe et c’est tout. Et chez nous : un verbe mais deux adverbes qui prennent le verbe en sandwich !! Eh oui ! NE et PAS. Totalement français ce PAS, “quite french”. Doit-on s’en féliciter ?
Il n’en a pas toujours été ainsi. Cet adverbe ne vient pas du fond des âges. Songeons à Ronsard, songeons à Rohan. “N’attendez à demain, cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie“ a dit le poète qui a économisé un PAS. “Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis” a dit le prince qui en économise deux. Nous qui sommes du commun des mortels, ne pouvons en faire autant. Avouons néanmoins que notre adverbe NE placé en solitaire, surtout quand il s’élide en N’ fait pâle figure, quasiment inaudible. Il ne tient pas (!) la route à côté des négations de nos chers voisins européens : NOT, NICHT, NO etc…Il en est de même chez les Arabes : MA et chez les bretons bretonnants : KED. Et pour cause, ils ne connaissent pas les syllabes muettes, si douces à l’oreille pourtant mais sans relief. Comment donner du relief à notre NE national ? Comment renforcer un adverbe aussi fragile ? Pour soutenir les toitures des églises gothiques il y a des contreforts voire des arcs-boutants. Pour soutenir ce NE, le PAS est un contrefort idéal. Et en effet depuis sa mise en place il y a quatre siècles il a fait merveille. Rien que depuis le début de ce texte, j’en ai placé une douzaine. Dans nos conversations, dans nos écrits, que de PAS !! Des PAS dont on a totalement oublié que ce n’est pas à l’origine un adverbe mais un nom commun, désignant tantôt une trace de pied sur le sol, tantôt une enjambée, une chute évitée ou la distance séparant mon talon de pied en avant des orteils de mon pied en arrière*. Que vient-il faire ce PAS dans une négation ? On l’a dit, il n’a pas toujours été là. Mais alors et avant ? Quel contrefort ? Y en avait-il seulement ?
MIE, GOUTTE, POINT
On a commencé par peser sur le contexte après le verbe.
“Mangez-vous ? “Je ne mange même une seule miette”
“Buvez-vous ?” “Je ne bois même une seule goutte”
Et de fil en aiguille, ceux qui ne voyaient ou ne regardaient se servir du “point” de “punctum” latin, piqûre d’aiguille, soit la plus petite étendue visible. Mie, goutte, point, trois noms communs qui accédèrent au grade d’adverbe (de demi- adverbe !).
Et un jour est venu à leur rencontre le PAS :
“J’avance” “Je n’avance même d’un seul pas” Extraordinaire la fonction du nouvel arrivant qui bouscula ses prédécesseurs, jugé trop littéraires peut-être et pas assez sonores certainement. À leur encontre, l’intrus avait pour lui la brièveté claquante d’un coup de baguette ou d’un carreau de pétanque. Au XVIième siècle revinrent à leur sort habituel de noms communs la mie, la goutte, le point. Il a fait pire notre nouveau venu. Tel un coucou qui pond dans tous les nids et prend la place des propriétaires légitimes, notre demi-adverbe terminal a chassé le premier adverbe qui était pourtant la raison d’être de la négation. Certes pas toujours et seulement dans le langage oral plus ou moins relâché, mais quand même !
“Touche pas à mon pote..”, “Pas touche SVP!”. Plus soutenu le langage des amoureux quand ils effeuillent la marguerite. “Un peu, beaucoup, passionnément, pas du tout…”. Les textes sacrés, qui l’eût cru, eux aussi, négligent le NE. “Non nobis Domine, non nobis”. En latin la négation est correcte, en Français elle ne l’est plus : “Pas à nous, Seigneur, pas à nous…”
VIVE LE PAS
Lutte inégale on le voit entre les deux termes qui nous font connaître la négation. Oh combien inégale ! Cela dit, on aurait tort de le déplorer. Chantons sa victoire ! Non seulement il a poussé dans l’ombre les autres formules de négation mais, cerise sur le gâteau, il met le Français à l’honneur. Essayez donc de traduire PAS dans une autre langue. À quoi est due cette primauté ? À sa sonorité ? Pas seulement. André Cailleux, un éminent linguiste, a vu autre chose. Emboîtons lui le pas. Il compare les divers arcs-boutants de la négation. “Entre l’immobile (le point, la mie, la goutte) et le mouvement (le PAS) notre langue a choisi le mouvement. Sans mouvement, pas d’acte, pas d’action, pas de vie…”
Chacune de nos vies est une route semée d’une myriade de pas, ceux que l’on dit, ceux que l’on fait depuis le premier attendu avec tant d’impatience par le cercle de famille, jusqu’au dernier qui marque la fin du voyage. La mort n’est-elle pas un pas vers l’au-delà ? mais cette fois je vais trop loin, ne trouvez-vous PAS ?
Brest le 4 Août 2012
H-J TURIER
(*) Les médecins et en particulier les chirurgiens ou les dermatologues et les podologues, décrivant le pied, parlent de talon avant et de talon arrière.