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Mot du président

 En 2005, 60 ans après l’inauguration du lycée en baraques sur la place de l’Harteloire, entourée des ruines de la ville anéantie, Claude Spagnol, Jean-René Berthemet, encouragés par le souhait d’Edouard Landrain, député de Loire-Atlantique, lancent l’initiative de la création d’une association des anciens élèves de cet établissement hors normes.

Un article dans le Télégramme, l’exploitation d’une première liste établie en faisant appel aux souvenirs de quelques-uns uns, permirent de réunir en assemblée générale constitutive, le 30 septembre 2005, une soixantaine de membres.

 Depuis, l’organisation de deux sorties, l’une en avril 2006 à Kerhuon, l’autre en août au Faou, à laquelle ont pu se joindre des anciens ayant quitté la région, mais qui lui restent fidèle pour la période estivale, ont permis d’élargir le recrutement et de tracer un programme d’actions dans lesquelles l’association pourrait s’impliquer, conformément à ses statuts.

Mais l’association dont le but est la convivialité retrouvée, ne sera active et vivante que si ses différents membres sont prêts, notamment à partir de ce site informatique, à apporter leur contribution à cet intérêt de se retrouver et d’échanger  les souvenirs communs malgré le temps qui nous a séparé.

 

 

 

 

 

 

                                 Albert LAOT

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Conseil d'admin

Président: Albert Laot
Vice-président: Claude Spagnol
Secrétaire: Yvette Prigent
Trésorier: René-Louis Guiavarch
Trésorier adjoint:: Jean-René Poulmarc'h
Courrier: Annick Blaise
Membres:
Jean-Noël Berthemet
Daniel Gravot

René L'hostis
Bernard Oliveau
Michelle Péron-Pochet
Jeanne Romeur

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26 juillet 2008 6 26 /07 /juillet /2008 18:39
Voici comme promis l'article de notre ami H-J Turier sur cet épisode de l'histoire de la ville de Brest:: “La terreur oubliée”.

LA TERREUR OUBLIÉE

 

    L’histoire qui va vous être contée est celle du typhus à Brest en 1757.On n’en parlait pas. On ne connaissait que la “peste rouge” ou la fièvre des vaisseaux. Et pour cause. Cela dit, nous sommes à l’angle que fait le Grand Pont avec le parapet du boulevard Jean Moulin.

    Devant nous la Penfeld qui est un bras de mer et non une rivière. Regardez ses deux rives, ses deux quais. Rive droite c’est la paroisse Saint-Sauveur, rive gauche, Saint-Louis. Novembre 1757.Il fait très froid. Tout le monde bat de la semelle. Qui ? les hommes bien sûr et aussi les chevaux, attelés à des charrettes de tout modèle. Les hommes ont tous des coiffures. Je vois des chapeaux ronds, type ecclésiastique. Je vois des tricornes. Là des aumôniers ici des chirurgiens navigants, pas très nombreux. En revanche, beaucoup de bonnets analogues à ceux de nos nains de jardins, des bonnets verts. Regardez- les bien, ils dominent des souliers ferrés, séparés des pantalons par des anneaux métalliques. Eh oui ! Vous avez deviné : ce sont des galériens, plus tard on les appellera bagnards.

   Que font-ils, tous ces hommes ? Ils attendent un vaisseau. Quoi de plus banal sur un quai, certes, mais le vaisseau n’est pas ordinaire. Les aumôniers s’entretiennent avec les chirurgiens navigants. À terre tous, mais comme tous les marins, ils parlent de leurs campagnes passées, des épidémies passées. Redoutables ces épidémies. Le vrai ennemi du marin n’est pas la mer cruelle ni même le marin de la flotte adverse, c’est le microbe. À l’époque on disait “le mauvais air”, “la malaria” des Italiens. Les chirurgiens parlent des moyens dérisoires en leur possession à bord quand éclate “la fièvre des vaisseaux”. Une fois sur deux, ils ne peuvent qu’assister à l’éjection à tribord en faisant glisser  sur “la planche du coq” le cadavre. L’aumônier se sent plus utile sur un bateau en perdition, beaucoup plus utile que l’homme de l’art. Pourquoi ? À cause du sacrement de l’extrême-onction, certes et surtout pour le réconfort de ses paroles. La mort est omniprésente dans les esprits. La plus grande menace est de mourir sans préparation. Sur chaque navire, il y a un aumônier et une chapelle de fortune dans la “sainte-barbe”.

                                         

                                           Forçats de vogue

 

Les voilà. On distingue très bien à l’horizon sur la rade les mâtures d’un grand voilier. Mais au mât d’artimon flotte un grand pavillon jaune, annonçant la quarantaine. Quarante jours d’isolement, rarement respectés, tant est grande l’urgence. En piteux état, le bateau, tiré par des chaloupes armées par nos fameux galériens : les “forçats de vogue” comme à Marseille au temps des galères. Le bateau approche. Le voilà à quai, rive droite, rive Sainte-Catherine. L’agitation parcourt les rangs des hommes et des chevaux. Le débarquement peut commencer. En colonne par un montent par l’échelle de coupée les bonnets verts et les bonnets rouges, suivis d’un chapeau rond et d’un tricorne. On saura que cales et entreponts débordent de corps étendus. L’examen des malades est superflu. À peine descendus, les passagers encore ingambes mais exténués, se met en place la sinistre noria des invalides et des trépassés, des civières et des suaires. Nos galériens, installés qui sur le pont, qui sur l’échelle, qui sur le plateau des charrettes se passent de l’un à l’autre les fardeaux qu’ils ont saisi à bras le corps, comme on se passe les seaux d’eau dans les incendies.

   Où vont-ils se rendre, une fois lestés de leurs colis humains ces chars métamorphosés au pied levé en ambulances et en corbillards comme on dirait aujourd’hui ? Ils vont gagner les églises de Saint-Sauveur à Recouvrance ou Saint-Louis à “Brest-même”. Mais pas seulement ces lieux de culte métamorphosés en hôpitaux auxiliaires, car les vrais centres de soins sont combles. Ce vaisseau qui vient d’accoster n’est que le premier d’une série de bâtiments atteints par la fièvre, ce mal qui répand la terreur. Pendant quelques semaines se répètera le va et vient des véhicules porteurs de peste. Pendant quelques semaines, quasiment jour après jour, les bâtiments maudits continueront leur livraison de malheur, comme si le fléau avait réuni ses forces en haute mer avant de déferler sur le grand port du Ponant devenu, depuis quelques décennies, La Mecque des épidémies. Du matin au soir sur les rues et les routes allant à Saint-Sauveur ou à Saint-Louis ne s’entendent que les pas lourds des chevaux et le roulement des véhicules sous le vol criard des goélands attirés par cette provende insolite. “Les malades tombent comme des mouches” disent les chroniques du temps.

 

Chenched penn ar vaz

(De la mer à la terre)

 

   Pendant quelques semaines la “peste rouge”, la fièvre des vaisseaux, comme son nom l’indique, sortira des entreponts et des cales. Il est de bon ton de dire que la fortune de Brest tient à la marine. Ce n’est pas toujours le cas. Au bout d’un mois se fit une récession du fléau, mais ce n’était qu’une accalmie. On se passait le flambeau. De naval, il devenait urbain. À mesure que diminuait le nombre de pestiférés en uniforme, apparaissait puis s’amplifiait celui des victimes civiles. Inimaginable ! Les cadavres jonchaient les rues. D’où venait cette contamination sur la terre ferme ? Des immondices entassées sur la voie publique que n’arrivaient pas à enlever malgré tous leurs efforts, les “nettoyeurs”. Ces nettoyeurs, on le devine, n’étaient pas des bénévoles. C’était encore nos galériens. Ils paieront un lourd tribut à la peste, nos forçats. On leur avait promis la libération à l’issue de cet hiver meurtrier. Bien peu en profitèrent. Et les décès s’accumulaient. “L’air de mort et de désolation qui règne sur le port me fait gémir ; silence affreux, solitude désolée”. Voilà ce qu’écrivait en décembre, un inspecteur des garde-côte. Brest devenait une ville morte.

   N’y avait-il donc aucun moyen de lutter contre cette épidémie ? On le sait, mieux vaut prévenir que guérir. La prévention idéale est divinement simple : isoler et fuir. Le surréalisme mêlé de perversion eut été de faire de tous ces vaisseaux mortifères des lazarets flottants. Gardez vos malades. Qu’ils ne débarquent que morts ou guéris !! Quant à la fuite salvatrice,, , elle est, elle aussi, délicieusement théorique et elle aboutirait à allumer des foyers d’infection ailleurs. Alors ? Alors on se protège comme on peut : se terrer dans son domicile ne remuer ni pied ni patte tant que l’alerte n’est pas levée, s’écarter des sujets suspects. Rien n’a pu empêcher une angoisse de haut niveau de régner dans les rues.. “Que Dieu te bénisse” disait-on à celui qui éternuait. Ne serait-ce pas un signe, un premier signe du mal qui répand la terreur ? Sans oublier l’air, le mauvais air, qu’il convient de purifier. Et en avant, aux carrefours, les brasiers de plantes médicinales de toute nature : genet, laurier, camomille saupoudrés d’encens. Le recours au surnaturel est plus que jamais nécessaire. N’hésitons pas à évoquer Cosme et Damien, Sébastien et Roch. En ce siècle des lumières on fait fi de tout scepticisme railleur. On prie et on veille, on veille et on prie.

   Mieux vaut prévenir que guérir, on le sait. Mais quand la prévention a une valeur voisine de zéro, tournons-nous vers le traitement curatif. Hélas il ne vaut pas mieux. Depuis Hippocrate, on sait que la santé de l’homme est un équilibre entre quatre humeurs, elles-mêmes dépendant des quatre éléments de l’univers. L’air est un de ces éléments. Les anciens ne peuvent ni se tromper ni nous tromper. Diafoirus ne pensait pas autrement. Et en avant les purgatifs, les vomitifs, les sudatifs et les saignées. Dans la douzaine d’hôpitaux auxiliaires installés çà et là, de toute urgence, le spectacle était le même : se faufilant entre les rangées de moribonds, de morts-vivants recroquevillés ou étendus sur les jonchées de paille, un va-et-vient trépidant de religieux, de religieuses, de “fraters” et de “galopins”, mais surtout de forçats, élevés au rang de“forçats-infirmiers” par décision ministérielle. Imaginons autour de ces bénévoles au grand cœur le tourbillon des clystères des lancettes et bien sûr des suaires. Et toute cette agitation dans un concert de gémissements, de râles, de cris, d’invocations. Et flottant au-dessus de ces bruits, une odeur pestilentielle. On a parlé des “hommes de peine”, n’ayons garde d’oublier les autres, les chapeaux ronds et les tricornes, les aumôniers et les chirurgiens. Si la mission de ceux-ci se fait avec des moyens terriblement changeants au cours des siècles, du moins quant à la science médicale, la mission des aumôniers ne varie pas : préparer à ceux que les incroyants appellent un saut dans l’inconnu. À l’œuvre dans les coursives et les “saintes-barbes” des navires, ils le sont encore plus dans ces mouroirs sur la terre ferme que sont les hôpitaux auxiliaires.

 

Egist chas

 

“Ma ni ked trist ! Lakad tud en douar egist chas”

 

   “-Qu’est-ce qu’il raconte ? Toi qui parles breton, tu as compris ce que dit le charretier ?

-Oui, il dit que c’est triste d’enterrer des chrétiens comme des chiens. ”

Le paysan est un homme de Lambézellec, requis par les autorités, comme avant avait été requis, on l’a vu, le personnel soignant de toute la province. Sa mission : transporter dans sa charrette les victimes décédées. En effet, sous la bâche qui s’étend entre les deux ridelles des corps humains enveloppés de suaires. On reconnaît à cent pas, à cause de leurs chaînes aux pieds, de leurs bonnets verts, de leur casaque de même couleur et de leurs souliers ferrés, les deux marcheurs au cul du char : deux galériens.

   Le cheval s’est arrêté, arrivé à pied d’œuvre sur le terre plein du plateau de Kérivin à Lambézellec. C’est un champ d’avoine. Tout se passe comme si depuis quelques  semaines était tombée ici une pluie d’obus d’artillerie ; tout le sol est défoncé. Partout des fosses côtoyant des bourrelets de terre fraîchement remuée, partout des tonneaux de chaux vive. Dans l’une de ces fosses s’agite un autre forçat dont on aperçoit que la tête et les bras en mouvement, prolongés par une pioche ou une pelle. Nos deux bonnets verts sont venus lui prêter main forte en prenant sa relève au fond du trou. C’est un cimetière “sauvage”. Comme on le voit, les galériens sont mis à toutes les sauces : rameurs, dockers, ensevelisseurs, nettoyeurs de w.c et maintenant fossoyeurs.

Près d’eux, enfoncés à la va comme je te pousse, des pieux de bois en forme de croix, signant la nouvelle vocation du champ de céréales : une nécropole, mais chrétienne. Ne sommes-nous pas tous des sujets du roi très chrétien ?

   La mission de ces détenus est de même ordre que celle de leurs compagnons de misère sur le quai : éloigner la source du mal qui continue à agir, même à titre posthume. Enfouir au plus vite les restes de ces marins parvenus à leur dernière escale et des civils qu’ils ont à leur insu, précipités dans la même infortune. Une pelletée de terre, une pelletée de chaux. Si d’aventure s’approche un aumônier, un signe de croix en écho à celui du prêtre. Et on passe au trou suivant. Même décor sonore que dans les rues menant à Saint-Sauveur ou à Saint-Louis : essieux grinçants, roues cahotantes, chevaux qui sabotent et cris assourdissants des oiseaux de mer.

   Jour après jour, se suivront les convois pitoyables et les creusements de tranchées sinistres, derniers maillons d’une chaîne de misère et de deuil qui ne prendra fin qu’au début du printemps de 1758.

 

Mémento- Kenavo

 

Passent les ans. Novembre 2007. Le misérable champ d’avoine de Kérivin, saccagé par les excavations mortuaires, s’est métamorphosé en ce remarquable cimetière de Saint-Martin. Une forêt de croix de granit poli et de marbre s’étend à perte de vue, laissant émerger, çà et là, chapelles funéraires et mausolées de grand prix lançant vers le ciel pinacles, stèles, clochetons et coupoles, témoignage de la reconnaissance de leurs successeurs aux chers disparus.

   Chaque jour de la Toussaint, confondu avec le jour des morts, la nécropole la plus vaste de Brest disparaît sous la houle polychrome des cyclamens, chrysanthèmes, bruyères et compositions florales rivalisant d’originalité.

   Je n’ai pu m’empêcher de faire un saut dans le passé, un deuxième après celui du belvédère Jean Moulin. Cette fois j’ai un interlocuteur, en casquette et vareuse bleu marine : c’est le gardien du cimetière.

   «- Savez-vous où se trouvent enterrés les victimes de l’épidémie de 1757 ? Les Brestois et les bagnards, bien sûr ?

-          Une épidémie ? Première nouvelle ! Des bagnards à Brest ? Drôles de citoyens, vous ne trouvez pas ? »

   Je trouve moi aussi. Un opuscule déniché à la médiathèque de Lambézellec me renseigne. On suppose qu’ils sont enterrés au coin de la rue Yves Collet et de la rue Kerjean Vraz. Faisons un vœu devant cette sépulture virtuelle. Qu’un simple écriteau fixé au mur rappelle que ces aumôniers, ces chirurgiens, ces galériens et tant d’autres héros du quotidien se sont dévoués, sans compter, au risque de leur vie. Le grand port du Ponant leur doit bien cela.

   À eux ces trois vers qui ne sont ni de Déroulède ni de Charles Péguy mais d’un anonyme comme l’étaient ces pauvres victimes:

                                                    “  Fais ta besogne dans ton coin

                                             À l’ombre, muet, sans témoin
                                            Il n'importe pas qu'on te nomme”

                                     

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